À ces problématiques de description d’espèces s’ajoute, pour le volet forestier de l’expédition, un programme génétique original. En parallèle de la collecte effectuée par une dizaine de scientifiques dans les forêts d’altitude, un protocole de piégeage standardisé a été mis en place sur trois sites distants de quelques kilomètres. Sur chacun, cinq pièges – des dômes de tissu capturant les insectes volants – ont accumulé pendant deux semaines des centaines d’insectes dans des pots remplis d’alcool. De retour en France, les contenants subiront une batterie d’analyses génétiques pour développer une approche encore peu pratiquée sur les insectes : le « metabarcoding ».
Outre l’étude classique, chaque spécimen verra une partie bien précise de son génome – sa carte d’identité génétique – séquencée. Cette courte séquence étant en théorie spécifique de l’espèce à laquelle appartient le spécimen, tout autre insecte présentant ce « code-barre génétique » devrait appartenir lui aussi à cette espèce. Cette méthode, rapide mais détruisant au moins en partie les spécimens, sera reproduite pour tous les insectes collectés. Une fois cette gigantesque bibliothèque élaborée, les chercheurs passeront dans les séquenceurs l’alcool seul des pots, sans leurs insectes. Comme l’alcool garde en théorie une trace ADN des organismes qui s’y sont trouvés, l’équipe espère montrer qu’il est possible de retrouver l’ensemble, ou du moins une grande partie, des codes-barres génétiques préalablement séquencés.
« Si cela fonctionne, nous pouvons imaginer dans le futur qu’en disposant d’un échantillon de ce type, avec un grand nombre d’espèces différentes dans un flacon, il suffirait de prendre un peu d’alcool pour arriver à déterminer la composition de l’échantillon, sans avoir à détruire ni à trier aucun spécimen », suggère Philippe Grandcolas, directeur de recherches CNRS/MNHN, responsable du volet forestier de l’expédition.
Même si, pour cela, une bibliothèque de codes-barres génétiques devra préalablement être constituée. Autrement dit, pour faire du « barcoding », la plupart des espèces du milieu doivent déjà être connues et décrites. « Ce sont des méthodes puissantes, rapides et innovantes, mais elles ne peuvent se substituer à la taxonomie, rappelle ainsi M. Grandcolas. Notre but est de valider un protocole, mais également de démontrer que l’on gagne énormément en puissance quand on couple génétique et taxonomie. » L’image d’Épinal du naturaliste penché sur son microscope reste donc d’actualité.