Reportage de Yann Chavance,
paru sur LeMonde.fr
Il est à peine 19 heures, mais la nuit est déjà tombée comme une chape de plomb sur le camp de base des chercheurs. Le groupe électrogène mis en marche, offrant les quelques heures d’électricité et donc de lumière de la soirée, toute l’équipe mange un repas chaud sous une grande bâche tendue à la lisière de la forêt. À peine le dîner englouti, chacun se dirige instinctivement vers le feu de camp, bientôt au centre d’un cercle de chercheurs frigorifiés : ici, à plus de 1 000 mètres d’altitude, les températures dépassent tout juste les dix degrés durant la nuit.
Ici, c’est la « côte oubliée », une chaîne montagneuse de Nouvelle-Calédonie vierge de toute présence humaine. Le terrain de jeu d’une dizaine de scientifiques, venus inventorier la petite faune forestière dans le cadre du programme « La Planète revisitée », une série d’expéditions conduites à travers le monde par le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et l’ONG Pro-Natura International.
Depuis le début de ce mois de novembre, l’équipe sillonne les sommets alentour chaque jour… et chaque nuit. Ce soir, dès la fin du repas, un petit groupe se prépare déjà à repartir à l’assaut de la forêt, malgré le froid et l’obscurité de cette nuit sans lune. Les sacs sont vérifiés encore plus consciencieusement que durant la journée : un GPS, de l’eau, mais surtout une lampe puissante et une bonne quantité de piles de rechange, au cas où. Ils sont trois ce soir, tous entomologistes – spécialistes des insectes –, chacun travaillant sur une famille bien particulière. Mais, avant de traquer les blattes ou les coléoptères, il faut se rendre au cœur de la forêt et pour cela emprunter un sentier à flanc de montagne.
La nuit, à la lueur des lampes, la marche se fait à plus faible allure. Les pièges des bois, trous dans le sol et branches à hauteur de visage, sont bien plus difficiles à débusquer. Le risque de perdre le sentier étant également plus élevé, l’ascension est lente, bien que suffisante pour faire chauffer les mollets et oublier le froid. Au bout d’une heure de marche, le trio commence sa chasse nocturne au cœur des peuplements sylvestres. Ici, l’un balaye les feuilles basses du rayon de sa torche pour dévoiler un grand phasme se fondant parfaitement dans la végétation. Là, un autre retourne la litière du sol pour débusquer une blatte endémique de Nouvelle-Calédonie, ne vivant que dans l’archipel.

